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Le sommeil chez les bébés animaux
 
L'homme est un animal. Si certains de nos comportements s'éloignent des schémas dits naturels, il n'en reste pas moins vrai que nous partageons encore de nombreuses fonctions physiologiques avec certains de nos cousins sauvages. Notre attention nous porte ici vers le nourrisson, qui est le stade de développement de l'être humain le moins marqué par la société humaine qui l'entoure. Le comportement du nouveau-né est très vraisemblablement bâti selon des schémas qui ne doivent presque rien à la culture humaine. Il y a fort à parier que le bébé du XXe siècle réagit de la même façon que le bébé de l'homme préhistorique. Les conditions de vie de cette époque lointaine ont charpenté nos comportements les plus archaïques mais néanmoins toujours actifs : chercher de la nourriture, échapper aux prédateurs, souffrir, mourir, survivre parfois, … tel était notre lot quotidien. C'est encore ce que vivent les primates de nos jours. Ainsi de nombreux réflexes du nouveau-né humain se retrouvent chez le nouveau-né gorille ou chimpanzé. L'intérêt d'une observation chez ces animaux est donc, dans le domaine qui nous intéresse, aussi pertinente que peut l'être une étude comparative entre des animaux et l'espèce humaine.
 
Comportement nocturne des animaux
D'une façon générale, le sommeil peut être envisagé comme un état, et ce sont alors les physiologistes qui le décrivent. Ou comme un comportement, et dans ce cas les éthologues ont la parole. Le plus souvent, le discours emprunte à l'un comme à l'autre des bribes d'observations. Selon les zoologues (1), il n'existe pas de définition satisfaisante du sommeil. Certaines caractéristiques du comportement peuvent indiquer qu'un animal dort, mais elles trouvent le plus souvent des contre-exemples : immobilité (mais chez les mammifères les bébés tètent en dormant), réactivité amoindrie (mais jamais annulée), recherche d'un lieu sûr pour le repos (mais parfois assoupissement brutal). De même la ou les fonctions du sommeil ne sont toujours pas très claires : réparation ? Développement ? D'une façon générale, un rythme circadien s'observe, et des schèmes se répètent régulièrement toutes les 24 heures. Certaines espèces sont dites nocturnes, l'homme lui fait partie des animaux à activité diurne. Il s'agit d'un caractère biologique puissant : si certains adultes peuvent supporter une activité nocturne, cela n'a jamais été observé chez les jeunes enfants. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement ici est l'environnement du jeune durant son sommeil, et entre autre la présence à ses côtés, ou non, de congénères et les interactions que le jeune aura avec eux.
Pour qui a cotoyer dans sa vie des animaux, une observation rapide révèle que pour une grande majorité des espèces animales, les petits dorment contre un adulte, le plus souvent leurs parents, et très souvent leur mère. Mais au-delà du simple constat d'une universalité dans ce comportement qu'est le sommeil partagé, il peut être utile de dégager les fonctions de ce comportement. Les fonctions d'un comportement, telles qu'elles sont envisagées dans le monde des espèces vivantes, sont bien souvent impérieuses, c'est à dire que leur activation est nécessaire pour le bon développement de l'individu et au-delà, de l'espèce.
Nous allons nous intéresser plus précisément à quatre caractères qui permettent chacun de classer les animaux en deux groupes (le groupe qui possède le caractère et son groupe complémentaire). Nous distinguerons ainsi les espèces à sang chaud et les espèces à sang froid ; les espèces dites " à terrier " ou " à nid " (nidicoles) et celles sans refuge (nidifuges); les mammifères et les non-mammifères ; les espèces où une portée comptent un individu, rarement deux, et les autres où le nombre est la loi. Dans les trois premiers groupes, la présence d'un partenaire durant le sommeil du petit aura (ou non) une fonction associée. Dans le quatrième groupe, le caractère observé concerne la nature du congénère présent. Prenons les dans cet ordre.
 
-Sang chaud/sang froid : la thermorégulation
Tous les animaux doivent maintenir leur température corporelle à un certain niveau. Pour se protéger du froid, les animaux ont trois types de stratégies : augmenter leur taux métabolique (en absorbant de la nourriture, en frissonnant, en remuant), empêcher la déperdition de chaleur (en hérissant le poil, par des dépôts de graisse sous-cutanée, en se pelotonnant contre des congénères), bénéficier d'une source de chaleur extérieure (soleil, chaleur dégagée par un congénère). Contrairement aux lézards, le corps des animaux à sang chaud est lui-même une source calorifique de toute première utilité. Donc pour les animaux à sang chaud, se pelotonner contre un animal, c'est limiter leur déperdition de chaleur mais également bénéficier de la chaleur de l'acolyte : le contact corporel entre les individus est alors un moyen efficace de maintenir une température corporelle suffisante, en particulier la nuit quand la température baisse. Les petits sont d'une façon générale fragilisés par leur immaturité et leur capacité amoindrie de lutter contre le froid. Dormir contre un adulte, un membre de la fratrie, ou tout autre partenaire, aura donc comme fonction de maintenir la température du corps des petits à un niveau satisfaisant.
 
-Nidicole/nidifuge
D'une façon générale, la période du sommeil est un temps de danger : une réactivité amoindrie implique une réponse moins efficace au danger. Pour les animaux qui construisent un refuge (par exemple le renard, le lapin, de nombreux oiseaux), celui-ci pourra constituer un lieu relativement sûr. En particulier, les petits pourront y rester un moment en absence de surveillance des parents, et en relative sécurité. Les parents peuvent alors vaquer à certaines occupations sans leurs petits, comme chercher de la nourriture. Cette protection dépend de la technique dont sait faire preuve l'espèce. Les oiseaux ont développé des procédés très performants. D'autres sont plus sommaires : la femelle guépard cache ses petits dans les herbes hautes quand elle doit partir à la chasse, ce qui ne constitue qu'une faible protection. Les animaux sans refuge ou qui ne construisent pas de terriers ou de nids dignes de ce nom, ne peuvent pratiquement pas se séparer de leurs petits, de jour comme de nuit. C'est le cas de nombreux carnivores, comme certains félins, d'herbivores comme les gnous, zèbres, et des singes. Cependant, y compris chez les animaux qui bénéficient d'une relative sécurité grâce à leur habilité à construire un refuge, la présence d'un adulte reste toujours un facteur de sécurité pour le petit. Tant que son développement ne lui permet pas un certain niveau d'autonomie, seules des raisons impérieuses comme la recherche de nourriture éloigneront l'un ou les deux parents , et toujours pour des durées les plus courtes possibles. Ces abris peuvent également protéger les petits du froid. Très souvent, ils sont aménagés pour diminuer la déperdition de chaleur, grâce à l'apport d'éléments comme des plumes, de végétaux morts, de débris de toute sorte. Mais chez toutes les espèces, y compris celles qui construisent de véritables châteaux forts douillets comme les castors ou les lapins, les adultes dorment aux côtés de leurs petits la nuit. La différence entre espèce nidicole et espèce nidifuge se lit dans le comportement diurne, mais non dans le comportement nocturne.
 
- Mammifères/non-mammifères
La particularité fondamentale des mammifères est la présence indispensable pour le bébé de sa mère. La raison en est toute simple : la femelle allaite ses petits et elle restera l'adulte le plus important pour le petit jusqu'à son sevrage. Y compris chez les espèces où l'espacement des tétées permettrait au petit de dormir contre un autre adulte, par exemple pour des herbivores comme les daims ou les lapins (une tétée quotidienne), c'est presque toujours la mère qui assurera la fonction d'élever les petits. Il arrive que chez des espèces animales vivant en groupe, des adultes autres que la mère assurent certaines de ces fonctions auprès des petits, y compris la fonction nourricière. Ainsi les petits lionceaux tètent-ils parfois une autre lionne que leur mère. Ces animaux dorment également en groupe, les uns contre les autres : les petits se trouvent alors eux aussi en contact avec d'autres adultes. Pour d'autres espèces, peut-être plus nombreuses, la relation mère-bébé est exclusive. Il arrive que des bébés orphelins ne soient pas recueillis par une autre femelle, phénomène bien connu des éleveurs de moutons. La mère reste un point d'ancrage incontournable dans toutes les espèces de la classe des mammifères. De toutes ces remarques et des précédentes, il découle que les petits mammifères dorment tous contre leur mère quand celle-ci n'a pas d'activité telle que la recherche de nourriture. Et donc quand la mère dort la nuit, ses petits dorment auprès d'elle, blottis contre son corps.
 
-Nombre de petits par portée
Dans les espèces où chaque portée compte au moins deux ou trois individus qui dorment les uns contre les autres, la présence permanente d'un adulte est moins indispensable que chez les espèces qui n'ont qu'un petit par portée. Ainsi chez certains carnivores à terrier comme les renards, quand les adultes partent à la chasse, les jeunes trop petits pour les accompagner restent seuls, cachés à l'abri du terrier et profitent de la présence des autres membres de la portée pour se réchauffer. C'est également le cas chez de nombreux oiseaux. Quand le petit est seul, il développe évidemment un lien exclusif très fort avec sa mère ou ses deux parents car il ne peut bénéficier du contact d'un frère ou d'une sœur (en général les aînés ont quitté la cellule familiale d'origine). Pour des mammifères, et quand de plus il n'y a pas de terrier ou de nid, le seul endroit où le petit est en sécurité est alors le corps de sa mère . La nuit, mais également le jour. Nous trouvons ce cas de figure chez de nombreux herbivores. Si des compagnons de jeux sont très rapidement des partenaires pour les petits, les contacts se limitent au temps d'éveil ; il n'y a pas de proximité corporelle durant le sommeil comme cela est le cas avec la mère, ou comme cela est le cas avec des frères et sœurs pour les portées nombreuses.
Pour de nombreuses espèces de singe, les petits restent de longs mois en compagnie de leur mère (2) : ainsi le petit singe rhésus reste avec sa mère jusqu'à 3 ans, et dort avec elle au moins jusqu'à deux ans ; un petit babouin tète environ 10 mois, et dort avec sa mère la première année.
 
A ces trois fonctions physiologiques élémentaires, il convient d'ajouter une fonction relationnelle qui est la consolidation du lien d'attachement entre le petit et l'adulte tutélaire.
 
Le lien d'attachement chez les animaux et la proximité mère-bébé
Les éthologues ont étudié le comportement animal depuis le début du XIXe siècle. Pour de nombreuses espèces, le lien d'attachement qui unit un petit à un adulte (très souvent la mère, plus rarement la mère et le père), suit un schéma d'installation très précis. L'attachement du petit avec sa mère s'établit durant une période dite " sensible ". Des actions prédéterminées doivent se succéder dans un certain laps de temps pour que la capacité du petit comme de sa mère à s'attacher l'un avec l'autre s'exprime. La proximité permanente, jour et nuit, est un élément majeur de cet établissement. C'est le cas pour les fameuses oies de Lorenz, et pour de nombreuses espèces domestiques (chèvres, moutons) : si des séparations ont lieu à certains moments du développement du petit, le lien d'attachement soit ne se réalise pas, soit se réalise avec un autre objet d'attachement que l'objet naturel.
Les expériences de Harlow sur les macaques Rhésus ont montré qu'en absence de sa mère, le contact avec une fourrure chaude et la présence d'un objet en balancement léger étaient des éléments sécurisant bénéfiques pour le développement du petit singe. Mouvement et chaleur sont donc des éléments indispensables pour réconforter les petits et participent activement à la création du lien d'attachement entre un petit et sa mère.
La conclusion de toutes ces expériences est claire (3) : la séparation forcée est toujours un facteur qui diminue la possibilité de s'attacher, et donc obère le développement des jeunes, en aboutissant parfois à des comportements individuels et sociaux anormaux ; ou encore, le contact physique entre la mère et son petit est fondamental pour l'établissement du lien d'attachement, et ce pour de nombreuses raisons.
 
Les grands singes
L'homme fait partie des grands singes (gibbon, chimpanzé, orang-outan, gorille, bonobo). Ce sont des animaux à sang chaud, sans terrier , qui allaitent leur petit, en général un par portée. D'après tout ce qui vient d'être dit, la présence indispensable de la mère le jour comme la nuit parait évidente. Le petit primate dort donc contre sa mère toutes les nuits sans exception. Et les siestes (périodes de sommeil diurne) se dérouleront également le plus souvent dans les bras ou sur le dos de la mère. En d'autres termes, le bébé primate passe tout son temps de sommeil contre sa mère.
La question qui peut être posée ici concerne la durée de ce comportement. Car même si le sommeil est rarement solitaire y compris chez les adultes, le corps maternel ne sera pas toujours le support privilégié qu'il est pour les petits. Il semblerait que la durée du sommeil partagé mère-bébé soit liée à la durée de l'allaitement, et que le jeune singe quitte sa mère quand celle-ci met au monde un nouveau petit (ce qui correspond à peu près à la fin de l'allaitement). Chez les grands singes les durées d'allaitement vont de trois ans à cinq ans. Par exemple le chimpanzé qui est allaité 4 ans, dort avec sa mère les 3-4 premières années. C'est souvent à cet âge que le petit primate quittera sa mère, parfois pour aller dormir seul, plus souvent pour dormir en groupe avec d'autres congénères.

Sang chaud

Pas de terrier

Allaitement

Enfant unique

Fonction assurée par le contact relativement au caractère observé

Contact corporel = chaleur

Proximité d'un adulte = sécurité

Proximité de la mère = nourriture

Contact corporel possible avec les parents seulement

Influence sur le comporte-ment des petits durant le sommeil

Regroupement au moins durant le sommeil avec des adultes

Regroupe-ment quasi-permanent

Regroupe-ment avec la mère durant le sommeil de celle-ci et pour l'ali-mentation

Regroupe-ment au moins durant le sommeil des petits et durant le sommeil des adultes

Primates

Oui

Oui

Oui

Oui

Homme

Oui

?

?

Oui

Tableau 1 :Principales fonctions du sommeil partagé (bébé)-(autre individu) chez les animaux
 
L'homme, grand singe parmi les autres ?
Vous remarquerez les points d'interrogations dans le tableau 1 ci-dessus. Pour le premier caractère, nous savons que depuis les temps préhistoriques, et s'éloignant en cela des schémas hérités des primates, l'homme a bâtit des demeures. De plus en plus solides, de plus en plus sures, nous les considérons souvent comme des refuges pour nos petits . Mais notre environnement d'adaptétude évolutionniste , c'est à dire l'environnement des premiers hommes qui a influencé l'organisation de nos comportements primitifs encore actifs aujourd'hui, est sans doute celui de grand singe sans abri sûr. En ce qui concerne le deuxième caractère, c'est un peu par provocation que j'ai mis en doute notre appartenance au monde des mammifères. Mais il est vrai que là encore l'homme se distingue, qui a si brutalement rompu des chaînes biologiques élémentaires en développant en un temps record une façon tout à fait non naturelle de nourrir les bébés. Si dans de nombreux pays les bébés sont toujours allaités, il n'en est plus de même dans les sociétés industrialisées, et nous nous devons de poser cette question : sommes-nous, oui ou non, encore un mammifère ? Cependant, là encore, y compris pour les bébés qui ne sont pas allaités au sein de leur mère, les comportements seront charpentés par les caractéristiques de l'homme comme espèce animale dotée de besoins, de comportements et de réflexes archaïques puissants.
Pour l'instant, à l'aide de ce tableau synthétique, et en nous rappelant notre appartenance au monde des primates, la conclusion est sans appel : le bébé humain est phylogénétiquement adapté au sommeil partagé, et plus précisément à la proximité permanente avec sa mère, jusqu'au sevrage naturel . Cette proximité se comprend comme un contact corporel intime qui assure plusieurs fonctions : fournir de la chaleur, de la nourriture et une sécurité physique ainsi que s'attacher à sa mère. Elle est chez les primates la règle durant le jour et elle est encore plus impérieuse et plus évidente durant la nuit et pendant le sommeil du bébé et de sa mère.