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- Méthode
d'analyse
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- Le comportement humain ne se lasse pas d'être
observé et commenté. Des courants intellectuels se
disputent le droit de définir des méthodes
d'observations, des théories comportementales
générales, et parfois même des conseils
pratiques. Le mouvement culturaliste américain, qui voyait
dans le déterminisme culturel l'explication centrale de nos
comportements, s'est heurté à la psychanalyse et
à la biologie. La longue guerre que se livrent
l'inné et l'acquis semble prendre fin aujourd'hui,
même si des batailles éclatent encore ici ou
là. L'union de disciplines aussi diverses que l'histoire,
l'anthropologie, l'éthologie, la biologie et la psychologie
s'est révélée indispensable à une
qualité du discours. Hélène Stork
représente un mouvement encore peu affirmé en
France, qui présente la psychologie anthropologique, ou
encore transculturelle, comme une méthode de choix pour
observer les comportements humains. C'est dans cette lignée
que je voudrais placer mon propos.
-
- Endormir les enfants et favoriser leur sommeil est une
tâche essentielle que les personnes qui les
élèvent doivent accomplir. D'une façon
générale, les jeunes enfants ont des besoins
particuliers et irréductibles qui doivent être
comblés, et demandent une attention soutenue et continuelle
de la part de leur entourage. Ces besoins sont physiologiques
(besoins alimentaires, besoin de sommeil), psychologiques
(développement individuel) et socio-culturels (attachement,
relations sociales). Ils sont universellement reconnus. Les
différences constatées entre les
sociétés peuvent concerner les
représentations de ces besoins comme les réponses
apportées par l'entourage. La représentation du
sommeil des bébés dans ses multiples dimensions
(physiologiques, psychologiques et sociales) et la façon
dont les adultes l'organisent, illustrent parfaitement cette
observation.
-
- Il est clair que comme élément parmi d'autres
qui, tous ensembles, tissent une manière d'élever
les enfants, les comportements associés au sommeil
expriment le plus souvent la vision plus globale de ce que
représente un jeune enfant, de ces besoins supposés,
comme des relations familiales et sociales plus
générales, dans une société humaine
donnée. Notre propos se limite ici au sommeil du jeune
enfant de moins de cinq ans. Mais c'est souvent dans un cadre plus
large que nous devons chercher les explications quant au
comportement particulier observé.
-
-
Contexte
général
- Notre première étape consistera en l'observation
des caractéristiques de ce comportement, pour dans un
second temps en préciser les fonctions. Cette observation
se fera en s'inspirant d'une méthode
développée par Hélène Stork qui
consiste à formaliser le recueil d'informations tout en
développant une recherche des caractères universels
et de ceux plus marqués par le temps et le lieu du
comportement observé.
- L'interculturalité fait appel au concept de la culture.
La définition de ce mot, et l'étude de son rapport
entre autre à la sociologie, la politique, la
médecine et la psychologie ont été l'objet de
livres qui rempliraient des bibliothèques entières.
La culture sera ici définie comme un ensemble de
représentations et de pratiques, dans le cas qui nous
préoccupe centrées autour du jeune enfant, se
transmettant au moins partiellement dans un groupe humain d'une
génération à l'autre. Elle est entre autre
marquée par le milieu naturel dans lequel vit ce groupe, et
donc le reflet de la diversité de ce milieu. De ce fait,
très souvent nous ne la concevons qu'en terme de
différence (une culture par rapport à une autre
culture). Nous admettons en général que toute
pratique humaine particulière est le produit plus
général de la nature (écosystème) et
de la culture. Ce qui a deux conséquences : en premier
lieu, tout comportement est d'ordre à la fois " naturel "
et culturel. Ou encore, il n'existe pas chez l'homme de
comportement purement naturel ou purement culturel. Nous en
déduisons alors, dans un second temps, que les
différences observées dans un comportement sont
d'ordre culturel, puisque nous supposons que la composante
naturelle est commune à l'humanité entière .
C'est sans doute très souvent le cas, mais il peut arriver
qu'une pratique particulière, dans une culture
particulière, entame le socle naturel . Dans ce cas, la
différence observée ne sera plus seulement d'ordre
culturel, mais également d'ordre " naturel ". Comment
reconnaître de telles différences ? En menant une
observation la plus large possible dans les diverses
sociétés humaines. Il paraît en effet peu
vraisemblable qu'un comportement profondément
dénaturé soit partagé par un très
grand nombre de société.
-
- Mon objectif est ici de répondre à cette
question qui me paraît un préalable nécessaire
à toute discussion : existe-t-il un comportement universel
du jeune enfant associé au sommeil ? Quels sont, dans ce
cas précis, les éléments communs à
l'humanité entière ? Quelles divergences sont
observées ?
- Le socle physiologique évident du sommeil de l'homme en
tant qu'espèce animale autorise un préjugé
favorable à l'existence de caractères universels et
donc naturels. C'est avec cette intuition que j'ai cherché
à collecter un maximum d'informations sur le sommeil des
jeunes enfants. D'abord du côté des temps anciens et
des cultures extra-occidentales. Puis, et c'est toujours le plus
difficile, dans la société qui est la mienne : le
monde occidental moderne.
-
-
Les sources d'informations
- Les ethnologues s'intéressent depuis longtemps aux
relations inter familiales. Ils ont observé les
comportements des adultes et de leurs enfants associés au
sommeil de ces derniers comme étant l'expression de liens
inter individuels, de représentations des besoins et
devoirs de chacun dans la famille et dans la
société. Ces descriptions concernent une
variété importante de groupes humains.
- Les ethnographies des peuples lointains du début du
siècle ont laissé place à l'observation de
peuples plus proches, voire au monde de l'observateur
lui-même. La dichotomie brutale entre le sauvage et l'homme
civilisé a fait place aujourd'hui à un continuum
complexe qui va de la brousse africaine, en passant par la
mégapole chinoise et les banlieues latinos des USA aux
centres-villes de la vieille Europe. Les groupes humains ne sont
jamais étanches, et nous simplifions à
l'extrême en parlant de culture non-occidentale par
exemple.
- Les méthodes d'observation et de recherche ont
évolué également : l'immersion suivie d'une
restitution par écrit d'un seul jet, autrement dit le
récit, a laissé la place à la formalisation
plus stricte de l'observation (durant 60 minutes trois fois par
jour par exemple), voire même à l'utilisation des
statistiques (codage des observations, tests des personnes
observées, nombre important de groupes humains
observés). Enfin l'interférence de l'observateur
lui-même avec son matériel d'observation a
été mieux prise en compte et des méthodes
d'observation précisées .
- Margaret Mead, ethnologue emblématique du début
du siècle, a étudié durant de longues
années les populations océaniques (voir par exemple
" Murs et sexualité en Océanie " (4).
Hélène Stork, ethnologue et psychologue
française, s'est plus particulièrement
intéressée à l'endormissement et au sommeil
des enfants dans le monde, et a rassemblé de nombreuses
contributions sur cette question dans l'ouvrage collectif "
Rituels du coucher " en 1989 (5). Elle a développé
une méthode d'observation en trois étapes (tableau
2):
- - observation directe du comportement (notamment grâce
à la vidéo)
- - entretiens avec les personnes observées
- - étude des documents dits " de référence
" (textes médicaux, religieux, etc.).
- Après avoir décrit selon certains
critères le comportement étudié dans un
groupe humain donné, les cultures sont comparées les
unes aux autres, avec recherche de différences et
d'invariants (6).
-
- En ce qui concerne nos pratiques anciennes, les historiens
apportent de nombreux éléments grâce aux
témoignages écrits et représentations
artistiques qu'ils ont étudiés. Les pratiques
associées à la petite enfance ont été
résumées par exemple dans l'ouvrage
L'épopée des bébés, de Claire
d'Harcourt (7) et l'article " Enfances d'hier, approche historique
" de Marie-France Morel dans Enfance d'ailleurs, d'hier et
d'aujourd'hui (8). Cette dernière, accompagnée de
Catherine Rollet cette fois, fait appel dans Des
bébés et des hommes (9) à la fois à
l'histoire et à l'ethnologie. Pascal Dibie a lui
étudié l'évolution de la chambre à
coucher ainsi que le comportement de sommeil associé,
à la manière d'un ethnologue des temps anciens dans
Ethnologie de la chambre à coucher (10). De nombreux
ouvrages donnent également des informations historiques sur
cette question (11, 12, 13).
-
- Certaines études récentes permettent de mieux
appréhender et de mieux connaître le comportement
nocturne des jeunes enfants aujourd'hui, en relation avec celui
des parents. En particulier, la fréquence des
réveils et la présence ou non d'adultes durant le
sommeil ont été l'objet d'études statistiques
effectuées par des chercheurs en médecine. Elles
font le plus souvent appel aux souvenirs des parents (qui peuvent
volontairement ou non déformer la réalité) et
à leur jugement, ou à des techniques d'observations
directes (film, recueil de paramètres physiologiques).
Très souvent, il s'agit de populations des pays
industrialisés.
-
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-
- Schéma1 : Observation du comportement nocturne du
jeune enfant
-
- De nombreux documents peuvent servir de matériel
d'étude; les textes anciens de médecins ou autres
personnalités font état soit de recommandations soit
d'observations ; les textes plus récents des psychologues
ou médecins qui nous informent à la fois de certains
faits (réveils, situations de sommeil courantes) et de
leurs recommandations ou repères propres, plus ou moins
bien exprimés ; les revues destinées au grand
public, qui sont à la fois le reflet de la
réalité des familles et le miroir des
recommandations officielles des personnes identifiées comme
des spécialistes. Enfin le comportement observé peut
également produire des effets facilement quantifiables
comme l'achat de certain type de matériel. Ce dernier
élément n'est ici que mentionné, il serait
utile de l'exploiter dans une autre étude (schéma
1).
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- En occident, les psychologues quant à eux ont
relevé des associations entre certaines
caractéristiques de l'enfant (développement,
évaluation de son tempérament, etc.), de la relation
mère-enfant, et le sommeil de celui-ci,. Ils ont
également tenté d'analyser les modifications du
comportement selon certaines interventions thérapeutiques
ou comportementales. Nous ferons appel à leurs conclusions
dans le chapitre consacré au sommeil solitaire.
Observation directe du comportement
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Entretiens avec les personnes
observées
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Etude des documents dits " de
référence "
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- Films
- Mesure de paramètres physiologiques
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- Recueil de témoignages
- Entretiens avec psychologues servant de base
à une évaluation (relation
mère-bébé, tempérament de
l'enfant)
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- Documents anciens (sources variées) ou
extra-occidentaux
- Livres modernes de médecins,
psychologues·Revues " grand public "
répercutant ces recommandations
officielles
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Production de statistiques (sur les réveils, le
sommeil partagé).
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Production de statistiques (sur les réveils, le
sommeil partagé).
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Tableau 2 : matériaux d'observation selon H.
STORK
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Limites du regard
interculturel
- Pour n'importe quel comportement imaginable, en cherchant
bien, on trouve une société humaine associée
à sa pratique. Ainsi dans le domaine des relations
sexuelles, tout ou presque peut se rencontrer. Se pose alors la
question des critères méthodologiques à
appliquer pour aboutir à une conclusion rigoureuse quant au
caractère (universel, particulier, exceptionnel) de ce
comportement. Une description anecdotique de tel ou tel
comportement ne suffit certainement pas pour conclure quant
à son caractère universel ou au contraire à
son caractère purement local.
- Observer plusieurs cultures humaines amène à
constituer un kaléidoscope dont il n'est pas toujours
facile de tirer des conclusions. Il peut être
intéressant d'élargir le regard à une portion
significative de l'humanité sur une période
donnée. Pour ensuite quantifier ou évaluer tel ou
tel comportement. C'est aujourd'hui possible grâce aux bases
de données qui permettent une interrogation
systématique sur un grand nombre de comportements et de
populations. Aux Etats-Unis, le fichier de Human Relations Area
Files (HRAF) rassemble un grand nombre de données sur 335
ethnies ou groupes culturels, et constitue une base de
données unique au monde. C'est ainsi qu'Edmund Nelson a
évalué les pratiques de puériculture dans un
échantillon représentatif de 60
sociétés (dont 53 fournissent des informations sur
ce sujet) et notamment les pratiques de sommeil et d'alimentation
(14), détaillées plus loin. Il insiste sur la
nécessaire standardisation des observations
inter-culturelles avant de conclure sur tel ou tel comportement,
et sur les différences observées (15).
-
- Egalement, la décentration du regard poussée
à l'extrême empêche toute tentative
d'évaluation et de jugement. S'il est utile de ne pas
considérer telle ou telle pratique comme à priori
bonne ou mauvaise (soit faire preuve d'ethnocentrisme par
méconnaissance de ses propres repères, soit au
contraire par attirance romantique pour des pratiques exotiques),
il n'est pas interdit de raisonner et de développer des
idées, voire même une opinion personnelle (16).
- Et si le mouvement culturaliste a bien évidemment
privilégié l'influence de la culture sur le
comportement, il n'est pas possible d'écarter les motifs
naturels de notre analyse. De plus, la nature ne concerne pas
seulement les molécules ou la matière : une
structure mentale peut elle aussi être qualifiée de
naturelle.
- Enfin, restons modestes : de même que le
bébé africain, la mère française du
XVIIIe siècle n'a aucune réalité. Les
continents et les siècles, bien loin d'être
uniformes, ne sont que des mosaïques dont nous ne pouvons
distinguer que les contours les plus grossiers. Ceci étant,
cela ne saurait non plus préjuger de l'universalité
de certains comportements : seul la démonstration en sera
rendue plus difficile.
-
-
Suprématie occidentale et
utilisation des statistiques
- La seule homogénéité frappante reste
l'absence quasi-totale d'observateurs comme de supports
médiatiques non-occidentaux. Les chercheurs anglo-saxons
forment ici la grande majorité des auteurs modernes ; leurs
publications ont le monopole de la diffusion des études ;
leurs bases de données (Medline par exemple pour les
publications médicales) seront les portes d'entrée
obligées vers l'information ; l'anglais est devenu la
langue scientifique universelle, ne pas le manipuler exclu du
savoir. Cette omnipotence donne aux idéologies occidentales
plus ou moins clairement exprimées (car plus ou moins bien
reconnues par leurs auteurs) un poids certainement hors de toute
proportion. Dans le domaine qui m'intéresse ici, cela aura,
nous le verrons, des conséquences graves.
- Les statistiques sont largement utilisées par les
médecins. En collectant de nombreuses données, en
étudiant leur variation selon plusieurs facteurs, ils
concluent à certaines associations entre une observation et
un ou plusieurs facteurs. Des calculs peuvent être
effectués qui cherchent à vérifier
l'association entre l'observation et un facteur
indépendamment des autres facteurs. Attention cependant
à ne pas faire parler des chiffres à tort et
à travers. Si association ou lien il y a entre une
observation et un facteur, la nature du lien qui les unit n'est
pas toujours évidente. Il peut s'agir d'un lien fortuit. Il
peut y avoir un lien de cause à effet. Contrairement
à ce que l'on pourrait croire, il n'est pas facile de
différencier une cause d'une conséquence ; des
confusions peuvent souvent survenir. Enfin, il se peut que le lien
entre les deux éléments fasse intervenir un ou
plusieurs autres facteurs non étudiés.
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