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Le comportement habituel des bébés dans le monde occidental de nos jours
 
Deux éléments d'étude seront analysés ici : les représentations populaires sur le sommeil partagé, accessibles dans les illustrations de certaines publicités ; les connaissances des spécialistes faisant l'objet de communications. Ces dernières collectent le plus souvent des données chiffrées et étudient les associations éventuelles entre plusieurs facteurs (par exemple entre l'origine ethnique et la fréquence du sommeil partagé).
 
Entre solitude et proximité : représentations et réalités
- Représentations populaires
Le sommeil de l'enfant est l'objet de représentations plus ou moins conscientes chez ses parents, et d'attentes qui sont le fruit de ces représentations, des conditions de vie de la famille et de son histoire. La réalité quotidienne est alors plus ou moins en phase avec cette attente, car, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, des facteurs naturels sont à la base de ce comportement qu'est le sommeil du jeune enfant.
Le sommeil partagé reste toujours chargé d'un pouvoir sentimental attractif important. Une illustration en est l'exploitation faite de l'image d'un bébé endormi contre sa mère ou son père par les publicitaires : le sommeil partagé reste un comportement qui suscite l'empathie, car fortement associé à la proximité physique entre le bébé et l'adulte. Une campagne de publicité pour la SNCF a récemment mis en affiche un père et ses deux enfants, tous endormis les uns à côtés des autres. Une publicité pour Orange (téléphone mobile) montre une famille de cinq personnes endormies les uns contre les autres (les parents, le plus jeune enfant contre sa mère, les deux aînés entre le père et la mère), symbolisant l'Europe et la solidarité. Des bébés endormis contre un adulte permettent de vendre des poussettes (Bébé confort par exemple), des biberons, des services bancaires (banque Woolwich). Une sœur et son petit frère dormant ensemble figurent même en couverture d'un livre sur le sommeil qui pourtant ne fait pas l'apologie du sommeil partagé, loin s'en faut (37) ! C'est également le cas de nombreux articles sur le sommeil de l'enfant : quelle que soit leur tonalité, bien souvent orientée vers le sommeil solitaire, des représentations de bébé endormis contre leurs mères font florès (voir tableau p.). Dans un registre complémentaire, une publicité pour la Fondation de France sur l'exclusion utilise la photo noire et blanc d'un enfant dans son lit à barreau regardant vers le spectateur, avec comme slogan " la plupart des exclusions commencent très tôt ". La mise à l'écart d'un enfant dans son lit est utilisée ici comme expression de l'exclusion. Le lit à barreau se départ difficilement de son image de prison : dans le dépliant diffusé par la fédération Naître et Vivre sur la prévention de la Mort Subite du Nourrisson (voir plus loin) où il est fortement recommandé d'utiliser des lits à barreaux, ces derniers sont dessinés d'une façon tout à fait irréaliste comme très peu élevés. Un artifice de dessinateur permet ainsi de gommer l'effet " cage " de ces lits.
 
Nous savons par observation quotidienne de notre environnement proche que le sommeil solitaire est un idéal largement partagé par la population française. " Votre bébé fait-il ses nuits ? " vient en tête de toutes les questions que posent l'entourage à un couple de jeunes parents. Ces deux représentations, d'un côté le sommeil partagé comme expression de la relation chaleureuse entre un bébé et un adulte, de l'autre le sommeil solitaire comme idéal à atteindre, cohabitent chez nous sans que cette dualité ne soit jamais explicitée.
 
- Sommeil partagé : quelle réalité en occident ?
Dans les pays industrialisés, certaines études ont permis d'évaluer combien de familles pratiquent le sommeil partagé, et de quelle façon. Ces études sont toutes largement basées sur le compte-rendu des parents et permettent en fait d'évaluer ce que les parents expriment de leur organisation nocturne avec leur bébé, plutôt que la réalité brute. Bien évidement, les représentations que les parents ont de leur propre comportement ( " Suis-je dans la norme ? Mon comportement est-il positif ? ") et de ce qu'ils pensent que le scientifique en face d'eux pense de tel ou tel comportement, interviennent dans cette expression. Quand une caméra est utilisée, les parents se comportent également en tenant compte de cette présence. Nous retrouvons là le fait bien connu de la perturbation engendrée par l'observation sur n'importe quel phénomène humain, qu'il est impossible d'éliminer.
Très souvent, les études comparent les pratiques à l'intérieur de population d'origines ethniques diverses dans un même pays. Sont concernées les populations d'origine européenne que l'on dénomme aussi " blancs " ou caucasienne et des populations non européennes : les noirs aux Etats Unis, les populations d'origine hispanique (sud-américaine) ou asiatique un peu partout dans le monde. Le plus souvent c'est le comportement nocturne qui est étudié, même si certaines publications s'attachent également à décrire le sommeil diurne.
 
La définition de ce qui est nommé " sommeil partagé " dans les études (traduction de co-sleeping) n'est pas toujours très précise. Le plus souvent, il s'agit du partage du lit des parents ou de la mère ou d'autres membres de l'entourage (bed-sharing). De même, dans le cas du partage du lit, des pratiques diverses peuvent se rencontrer : du partage du lit épisodique et seulement une partie de la nuit au comportement systématique toutes les nuits et durant toute la nuit ; mais également la disposition des individus peut varier, du contact corporel intime à une distance plus ou moins importante. Ainsi, parmi les blancs des Etats Unis qui pratiquent le partage du lit au moins trois nuits par semaine, seul 11% le pratique toutes les nuits (34). L'étude de Nelson montre que parmi des bébés de trois mois dormant avec un adulte, un tiers à la moitié sont en contact corporel avec celui-ci ; dans les autres cas, le bébé est proche (distance inférieure à la longueur d'un bras), et plus rarement à une distance supérieure. Des chercheurs australiens ont définit quatre indicateurs simples qui permettent d'identifier les couples mère-bébé pratiquant le sommeil partagé quand ils sont réalisés (38) :
- au moins un épisode de partage du lit de plus de 4 heures à n'importe quel moment depuis la naissance
- un minimum de deux semaines consécutives durant lesquelles le sommeil partagé a duré au moins 4 heures une semaine et 2 heures l'autre semaine
- un minimum de trois semaines consécutives avec chaque semaine au moins 1 heure de sommeil partagé
- et un minimum de trois semaines sur une période de 4 semaines consécutives avec au moins 1 heure de sommeil partagé par semaine.
Selon les différents critères testés, entre 27% et 45% des bébés de moins de 6 mois peuvent être considérés comme partageant le lit de leur mère. Cette étude montre également qu'ils sont 80% à avoir au moins partagé le lit de leur mère une fois dans leur vie. C'est le deuxième critère qui semble le plus apte à déterminer les couples mères-bébé qui pratiquent le sommeil partagé.
Les études font souvent appel aux souvenirs récents, et concernent les deux semaines précédant l'interview (par exemple 39, 33) ou la nuit précédant l'entretien (par exemple 25).
L'étude menée en 2000 par Nelson et déjà plusieurs fois citée ici (25) a relevé les pratiques de lit partagé et de chambre partagée dans 14 pays industrialisés pour les bébés de trois mois. Cette étude a cherché à évaluer la proportion de la population pratiquant le sommeil partagé de façon habituelle en calculant la proportion des familles où le bébé passe plus de 5 heures par nuit dans le lit avec un adulte à ses côtés (tableau 6).
 

Lit partagé

Dont durée > 5 heures

Durée > 5 heures(% de la population totale)

Chambre partagée

Suède (Stockolm)

65%

74%

48.1%

97%

Danemark

39%

45%

17.5%

91%

Autriche (Innsbrück)

35%

38%

13.3%

76%

Australie

30%

40%

12%

61%

Autriche (Graz)

25%

30%

7.5%

70%

Ecosse

25%

26%

6.5%

83%

Italie

24%

85%

20.5%

88%

Allemagne

23%

29%

6.7%

59%

Canada

23%

65%

15%

66%

Irelande

21%

26%

5.5%

86%

Nouvelle Zélande

18%

35%

6.3%

58%

Hong Kong (caucasiens)

18%

48%

8.6%

61%

Hongrie

12%

-

69%

Ukraine

8%

60%

4.8%

96%

Turquie

3%

-

96%

Tableau 6 : Pratiques de lit partagé en Occident (population Caucasienne)
 
La Suède propose un profil assez particulier, car 2 bébés sur 3 dorment avec un adulte. Le Danemark et l'Autriche semblent également favoriser la proximité du bébé avec ses parents puisque presque 2 bébés sur 5 ont passé au moins un moment dans le lit de leurs parents. Dans les autres pays, le partage du lit a été observé entre 20 et 30% de la population, en dehors de l'Ukraine, la Hongrie et de la Turquie qui font figure d'exception ici.
Les études américaines et britanniques qui ont étudié le comportement nocturne des populations d'origine asiatique ont toutes montré que le sommeil partagé y a une prévalence plus élevée que dans les populations blanches (40, 41, 42, 43, 44, 45). Une seule étude donne un résultat opposé (17), mais le faible nombre de personnes interrogées (20 personnes) peut expliquer ce résultat. De même, quand on compare le comportement des populations blanches au comportement des populations noires ou des populations hispaniques, ces deux dernières pratiquent bien plus souvent le sommeil partagé (voir tableau 7).
Il peut être intéressant de comparer les résultats obtenus pour des populations différentes lors d'une même étude, avec donc les mêmes définitions du sommeil partagé (17, 46, 22). Là encore, il apparaît très clairement que les populations d'origine caucasienne pratiquent moins le partage du lit que les autres.
 

Type de population

Pays

% de la population pratiquant le lit partagé

Réf.

blancs

Afrique du Sud

4 %

26

blancs

US

15% (3 nuits/semaine) (6-48 mois)

34

blancs

US

35% (habituel) (6-48 mois)

46

Non précisé

Norvège

22,8% (habituel à trois mois)

47

Blancs

Irlande

13%

48

blancs

US

14.7% (habituel)

17

blancs

US

6%

22

blancs

Angleterre

6.8%

49

blancs

France et Espagne

6% (4 nuits par semaine)

50

blancs

Nouvelle Zélande

35.5%

33

blancs

Allemagne

25% (habituel, à 5 ans)

51

Noirs

US

70%

46

Noirs

US

61% les 15 derniers jours48% la nuit précédente

52

Noirs

US

55%

17

Hispaniques

US

41%

17

Hispaniques

US

21%

22

Non précisé

Angleterre

81% des pères ont pratiqué au moins une fois

53

Non précisé

Norvège

30%

54

Non précisé

Angleterre

65% ont pratiqué (0-1 an)

55

Non précisé

France

12% (18 mois)

19

Tableau 7 : Partage du lit selon le type de la population étudiée dans les pays occidentaux industrialisés
 
Des résultats analogues sont retrouvés pour le partage de la chambre (voir tableau 8).
 

Type de population

Pays

% de la population pratiquant le partage de la chambre

Référence

Blancs

US

10%

22

Blancs

Angleterre

61%

49

Hispaniques

US

80%

22

asiatiques

Angleterre

94%

49

Tableau 8 : Partage de la chambre selon le type de la population étudiée dans les pays industrialisés (hors Japon)
 
Dans l'étude de Nelson, il apparaît que les bébés de trois mois sont pour tous les pays à plus de 60% dans la même chambre que les parents. En Irlande, Ukraine, Turquie, Italie, Ecosse, Danemark, Suède, ce taux est supérieur à 80%.
 
La fréquence du partage de lit (souvent, parfois ou tout le temps) pour un même enfant a été parfois étudiée. Aux USA, 55% des enfants de 2 à 3 ans partagent occasionnellement le lit de leurs parents (56). En Angleterre, 15% des bébés partagent toujours ou de façon habituelle le lit de ces derniers, 34% le font parfois (57). L'étude de Nelson (25) montre également des inégalités en ce qui concerne la durée des moments de lit partagé, puisque des durées supérieures à 5 heures sont retrouvées pour 20% des bébés italiens, mais seulement pour moins de 8% des bébés autrichiens (à Graz du moins), écossais, hongrois, néo-zélandais et hongrois. En Suède la moitié des bébés dort plus de 5 heures dans le même lit qu'un adulte.
 
Le sommeil partagé n'est pas une pratique réservée aux bébés : une étude française a ainsi montré que ce comportement était plus fréquent chez les bébés âgés entre 16 et 36 mois (9%) que chez les plus petits (3%) (50).
Les observations concernent essentiellement la nuit (objet de notre inquiétude). Une étude américaine a cependant étudié le partage du lit durant la journée : les mêmes différences selon les origines ethniques des populations ont été mises en évidence, avec les noirs et les hispaniques pratiquant bien plus souvent le sommeil partagé que les blancs (17).
 

Des données récentes montrent que la pratique du cosleeping est en progression aux USA, notamment chez les caucasiens (Willinger, 2003). La figure 19 indique l’évolution des taux de cosleeping habituel (le cosleeping fréquent et le cosleeping épisodique ont également été analysés dans l’étude) pour des nourrissons de moins de huit mois.

 

 
 
Tous ces chiffres montrent une grande diversité des comportements. Cette diversité est due en grande partie à des définitions différentes, d'une étude à l'autre, concernant le lit partagé ; mais également à des comportements et des pratiques de soins aux enfants différenciés. Pour les populations d'origine caucasienne, le lit partagé est une pratique marginale : environ 10% de la population a recours au lit partagé de façon habituelle ; entre 20 et 40 % a recours à cette pratique de façon ponctuelle. On peut sans grand risque affirmer que la majorité des enfants a un jour dormi dans le lit de ses parents. Les pays nordiques comme la Suède sont des exceptions, que l'on peut relier au très haut taux d'allaitement, toujours dans le contexte de populations occidentalisées. Par contre, les populations non-caucasiennes des pays industrialisés, qu'elles soient immigrées ou non, semblent recourir bien davantage au lit partagé et une majorité de leur bébé dort au moins de temps en temps avec un adulte.
 
Sommeil partagé et comportements associés
Tout d'abord, avec qui dort le bébé ? En Angleterre, une étude a montré que 40% des bébés de six mois partagent leur chambre et qu'ils sont 28% à partager la chambre de leurs parents (57). Une étude publiée en 2001 montre que dans 95% des cas, dans le Nord-Est de l'Angleterre, le bébé dort avec ses deux parents (53). En France, si 44% des bébés de 18 mois partagent leur chambre, c'est dans 28% des cas avec les parents, dans 16% des cas avec des frères ou sœur (19). En Australie, pour les bébés de moins de six mois, le bébé partage le lit de sa mère seule dans 70% des cas, avec ses deux parents dans 17% des cas, avec sa mère et un aîné dans 3% des cas de sommeil partagé (38). Nelson a montré que les bébés dormaient soit avec leur mère uniquement (au Danemark, en Irlande, en Ukraine), soit avec les deux parents (en Australie, en Suède, en Italie).
Les parents prennent leurs enfants dans leur lit quand il est malade (58, 56), et quand il se réveille (57). Un sondage publié dans Parents, en décembre 2000, montre que 54% des mères prennent leur enfant dans leur lit lorsqu'il pleure la nuit (40% souvent, 14% de temps en temps).
Pour les populations blanches, le partage du lit est associé avec une mère jeune et peu éduquée, la multiparité, un père chômeur et pauvre (59, 46).
L'association entre le sommeil partagé et l'allaitement au sein est détaillée plus loin.
Les problèmes de sommeil sont associés au partage du lit chez les blancs (46) et les hispaniques (22, 56). Parmi les enfants âgés de 15 à 48 mois qui connaissent des difficultés de sommeil, 34% pratiquent le sommeil partagé, alors qu'ils ne sont que 16% parmi les enfants " sans problèmes " (60). Ces résultats sont également retrouvés dans d'autres études (61, 50). Une étude aux USA sur des enfants d'âge scolaire (donc un peu en dehors de notre sujet) montre que le lit partagé est associé plus importante, au grincement de dents et au fait de parler la nuit (62) Des observations montrent qu'il existe des différences selon les cultures concernant les éléments associés au sommeil partagé. Ainsi les Japonais (34) et les noirs américains (63) ont une vision beaucoup plus positive de ce comportement, qu'ils ne lient pas à des difficultés de l'enfant comme cela est le cas pour les blancs.
Enfin les enfants qui s'endorment avec un adulte à leurs côtés ont moins recours à un objet de transition que les autres (64) aux Etats Unis.
 
Ainsi, pour les populations occidentales, le sommeil partagé est très souvent un choix lié à des difficultés de sommeil. Les auteurs restent en général prudent sur la nature exacte de ce lien. Il est vraisemblable que l'enfant présentant des difficultés d'endormissement ou qui se réveille fréquemment sera alors couché avec ses parents, en désespoir de cause. Mais les spécialistes pensent souvent que cette situation de sommeil partagé est à son tour la cause de difficulté de sommeil, et notamment la cause d'une inadaptation de l'enfant au sommeil solitaire. Au vu de ces statistiques, il semble se confirmer que dans notre société occidentale moderne, en dehors de populations immigrées, le sommeil partagé est rarement un choix en première intention.
 
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