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Dormir avec son bébé,  une  réalité

 

Lucie, jeune maman , vient à une réunion «  allaitement » pour parler de son bébé de quatre mois qui continue de réclamer le sein la nuit. Elle ne s’attendait pas à connaître ce genre de difficulté ; autour d’elle, on lui dit déjà depuis 1 mois que ce n’est pas tout à fait normal. Souvent elle prend son bébé dans son lit pour lui donner le sein. Et pour la première fois, elle osera dire qu’elle et sa fille s’endorment parfois de cette façon l’une contre l’autre. Elle n’en a jamais parlé à personne, et se pose beaucoup de questions. Est-ce normal ? Elle a peur que son bébé s’habitue à cette proximité, et surtout, elle a une image d’elle et de son maternage très dévalorisée. Durant la réunion, elle entendra d’autres mères  témoigner, notamment Hélène qui lui dira avoir vécue la même histoire, et qu’elle a résolu son problème en faisant dormir son bébé dans son lit en fin de nuit et en évitant de prêter attention aux critiques de son entourage. De nombreuses mères accueillent leur bébé, ponctuellement ou de façon habituelle, dans leur lit la nuit. Le plus souvent, ces mères agissent ainsi en réponse aux réveils nocturnes de leurs bébés ; elles trouvent également que c’est plus commode d’allaiter dans leur lit la nuit. Et si on en croit les chiffres et l’observation, elles sont nombreuses à réagir de cette façon, pour des périodes plus ou moins prolongées.

 

Une tentation mal maîtrisée : faire dormir le bébé avec soi

En France, plus de la moitié des parents reconnaissent prendre de temps en temps leur enfant dans leur lit. Maladie, pleurs ou autres raisons font que les bébés quittent souvent leur lit ou berceau pour passer des moments plus ou moins long dans le lit des parents. Il est étonnant aussi de constater comme le sommeil partagé garde un pouvoir attractif et affectif très fort dans notre société, car même les publicitaires en usent sur leurs réclames. Faisons confiance à leurs études de marché : s’ils utilisent de telles illustrations c’est qu’elles trouvent une résonance très favorable dans le grand public. Que ce soit pour Orange, avec une famille entière endormie, les matelas Simmons où un bébé dort sur son père lui-même endormi, la SNCF avec deux enfants et leur père côte à côte dans les bras de Morphée, des bébés s’étalent en grande largeur, qui dorment contre un adulte lui-même endormi. C’est également le cas dans de nombreux articles parus dans la presse grand-public : les articles sur le sommeil des enfants, qui souvent prônent le sommeil solitaire et la rigueur, sont illustrés de dessins où proximité parents-bébé rime avec bonheur.

Les spécialistes qui vantent les mérites du sommeil solitaire et de leur méthode d’apprentissage ont souvent la dent bien dure pour les parents qui cèdent si facilement à leurs enfants. C’est que leur méthode est axée avant tout sur la séparation et que la rigueur est de mise. Donc la moindre incartade fait courir à l’échec. Mais nous allons le voir, les incartades sont légions, et nos spécialistes construisent de pauvres murs de sable pour empêcher la mer de monter.

 

Sommeil partagé et populations marginalisées

Ailleurs, si les problèmes de sommeil ne sont pas inexistants, ils sont loin d’avoir notre ampleur. Mais l’organisation du sommeil des petits n’est absolument pas la même que chez nous. La proximité parents-bébé et surtout mère-bébé, est en général favorisée. Que ce soit dans la même chambre ou dans le même lit que sa mère, le bébé n’est pas délibérément éloigné. Dans les sociétés dites « traditionnelles », c’est à dire vivant en petit groupe sans eau courante et sans électricité, aucun cas de séparation mère-bébé la nuit avant l’âge de un an n’a été recensé (c’est-à-dire que le bébé n’est jamais placé dans une pièce séparée de sa mère). C’est également le cas dans les sociétés industrialisées asiatiques, africaines, ou d’Amérique du sud, où le bébé reste à proximité de sa mère la nuit. Ainsi en Chine[1] les bébés de 3 mois dorment à 90% dans le lit de leur mère. Au Japon aussi cette pratique est courante et concerne plus de 65% des bébés à cet âge. En Norvège et en Suède, pays qui font la promotion de l’allaitement maternel depuis bientôt vingt ans, plus de la moitié des bébés dorment dans le lit de leurs parents.

En fait, pour se faire une idée des pratiques liées au sommeil du bébé, il est plus simple d’essayer de circonscrire les populations qui ont fait du sommeil solitaire la norme. On aura plus vite fait. Considérons alors la vieille Europe, avec la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, la péninsule ibérique, la Belgique, la Suisse, l’Autriche, … et de l’autre côté des mers, l’Amérique du nord, le Canada, plus loin encore l’Australie, la Nouvelle Zélande. Et leurs populations dites caucasiennes. Depuis un siècle environ, le sommeil solitaire, c’est à dire le bébé dans sa propre chambre ou dans la chambre d’enfants, est devenu dans ces pays la norme, délimitant ainsi des poches culturelles très particulières. Cette pratique est récente, car les observations historiques dont nous disposons montrent que le sommeil partagé était très courant il y a un siècle dans ces mêmes contrées. Le bébé n’était jamais placé dans une chambre seul, mais le plus souvent à côté du lit des parents. Lit-estrade ou lit-armoire destinés à accueillir plusieurs membres d’une maisonnée étaient encore utilisés au XIXe siècle. Et même dans nos sociétés « à berceau », à l’occasion des tétées nocturnes le bébé rejoignait sa mère et devait bien souvent finir sa nuit avec elle. C’est ici que nous touchons une des difficultés concernant la description des comportements nocturnes : à partir de quand peut-on dire que le bébé dort dans le lit de ses parents ? Quand il y passe chaque nuit et toute la nuit ? Ou quand ces visites ne sont qu’épisodiques ? Et comment observer ce qui se déroule dans l’intimité des alcôves et dans l’obscurité de la nuit ? Dans l’état actuel de nos très maigres connaissances, on peut raisonnablement considérer que de nos jours dans les populations caucasiennes, au moins 10% des bébés de moins de deux ans dorment de façon habituelle avec leur parent. Mais les populations immigrées, comme les maghrébins en France, les américains du sud aux Etats-Unis, les habitants de la péninsule indienne en Grande-Bretagne, les asiatiques un peu partout dans le monde occidental, adoptent bien souvent des pratiques différentes. C’est aussi le cas de populations marginalisées, y compris quand elles sont présentes depuis longtemps sur un territoire. Ainsi, une étude récente aux Etats-Unis montre que 12,2% des Blancs, 25,5% des Hispaniques, 33% des Asiatiques et autres et 41,8% des Noirs dorment habituellement ou plus de la moitié du temps avec leur bébé de mois de huit mois[2]. En Angleterre, 94% des asiatiques dorment avec le bébé dans leur chambre. Or ces groupes humains représentent souvent une partie importante de la population des pays riches. Mais les spécialistes ne s’adressent le plus souvent qu’aux classes moyennes et supérieures caucasiennes, c’est à dire leurs paires : toute une partie de la population se trouve ainsi tout simplement mise de côté ou sommée de se soumettre aux règles culturelles particulières de la population qui détient le pouvoir (pouvoir médiatique, scientifique, politique).


 


[1] soit pour un sixième des être humains

[2] M. Willinger et al, « Trends in infant bed-sharing in the United States, 1993 – 2000 », Arch Pediatr Adolesc Med 157, janvier 2003, pp. 43-49.