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- Le sommeil
partagé : ses fonctions et ses causes
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- Les fonctions d'un comportement : entre
cause et conséquence
- Un comportement peut être décrit comme ayant une
ou plusieurs fonctions. Ces fonctions sont les conséquences
du comportement évaluées en terme de survie de
l'individu ou de l'espèce ou en terme de
développement physique, psychologique ou social. Elles sont
souvent liées à l'environnement que les premiers
individus de l'espèce en question ont connu (les temps
préhistoriques pour l'homme) et il est admis que certains
comportements n'ont pas beaucoup variés depuis cette
époque. Ainsi manger a comme fonction de permettre la
survie immédiate de l'individu en assurant ces besoins
physiologiques en nutriments. Avoir des relations sexuelles permet
à certains êtres vivants de se reproduire, et
d'assurer ainsi la survie de l'espèce. Mais au-delà
de la survie immédiate de l'individu ou de l'espèce,
certains comportements ont des conséquences moins vitales
tout en étant nécessaires au développement
favorable des individus ou de l'espèce. Ainsi la vie
sexuelle a également une fonction sociale, permettant de
maintenir une certaine cohésion entre les individus et une
structure au niveau du groupe ; la ou les fonctions au niveau de
l'individu lui-même sont peut-être plus obscures, mais
peuvent également être considérées.
- Enfin les fonctions d'un comportement ne sont pas en
général à l'origine de celui-ci. Il est rare
d'avoir une relation sexuelle dans le but de féconder un
ovule, ou même de favoriser la cohésion sociale. Ce
sont souvent des modifications organiques (modification
d'équilibres physiologiques ou psychologiques) qui sont
à l'origine d'un comportement, déclenché le
plus souvent dans un contexte particulier. Ainsi, la
présence d'un partenaire sexuel influera de diverses
manières sur l'organisme et déclenchera des
processus physiologiques qui auront comme conséquence une
excitation des organes génitaux et souvent la
réalisation d'un acte sexuel. Expliquer un comportement par
ses conséquences est un stratagème intellectuel
pauvre, qui revient à dire qu'une pomme tombe d'un arbre
parce qu'elle souhaite se trouver par-terre. John Bowlby insiste
beaucoup sur la distinction à faire dans les raisonnements
entre les causes immédiates d'un comportement, et sa (ou
ses) fonctions. Il réfute ainsi la théorie des
pulsions chère aux psychanalystes, théorie qui selon
lui n'est pas valable d'un point de vue purement logique puisque
dans un tel système, l'avenir explique le présent
(137). Mais il est pratiquement impossible pour nous de ne pas
contaminer les causes d'un comportement par ces
conséquences. Dans le cadre de la relation
mère-enfant, il sera très tentant de
représenter le bébé s'agrippant à sa
mère comme un être vivant qui agit pour satisfaire un
besoin de proximité. Que cela soit en terme de manque, ou
de niveau trop bas ou trop haut de telle ou telle variable, il est
impossible ici de ne pas faire référence d'une
manière ou d'une autre au résultat, qui est la
cohésion du couple mère-bébé, et
d'évoquer la ou les motivations du bébé et de
sa mère.
-
- Fonctions du sommeil partagé
- Essayons dans un premier temps de définir les fonctions
du sommeil partagé, c'est à dire de la
proximité nocturne adulte-bébé, en
considérant celle-ci comme un comportement humain banal. Et
dans un second temps, déterminons les
éléments à l'origine de ce comportement pour
pouvoir en avoir finalement une description la plus
complète possible.
- Certaines fonctions du sommeil partagé pourront
être révélées par une étude
historique. D'autres seront découvertes grâce aux
études modernes sur la physiologie et sur la psychologie
humaine.
-
- Fonctions physiologiques de
base
- Nous avons vu que chez les primates, le sommeil partagé
assurait au moins trois fonctions physiologiques de base, ou
encore essentielles à plus ou moins long terme pour la
survie de l'individu : sécurité, alimentation et
chaleur. Ces trois éléments seront repris ici dans
le contexte humain.
-
- Sécurité physique du bébé face
aux prédateurs
- Depuis le début du monde, assurer la
sécurité du bébé a été
une fonction essentielle de la proximité
bébé-parents durant la nuit. L'homme occidental, de
la préhistoire jusqu'au Moyen âge, et parfois
au-delà, a dû se défendre contre des dangers
de toute sorte : carnivores, insectes dangereux, serpents,
attaques de certains congénères, etc. Garder le
bébé auprès de soi est une mesure de
sécurité évidente dans ce contexte,
permettant une surveillance de tous les instants. Je pense que
nous sommes toujours habités de cette peur diffuse y
compris dans nos foyers hyper-sécurisés des centres
villes modernes, de la même façon que les enfants ont
peur des crocs d'un gros chien, sans avoir pourtant jamais
été mordu.
-
- Cette crainte des prédateurs est associée
à et renforcée par la peur du noir, ou peur de la
nuit. La nuit a de tout temps eu un caractère
inquiétant : la visibilité réduite
empêche le signalement du danger ; le sommeil rend les
hommes plus vulnérables et à la merci d'un
prédateur. Pour dormir, l'homme comme tout animal doit se
sentir en sécurité, dans un terrier, sur une
branche, dans une maison. Et le plus souvent en compagnie de ses
semblables. C'est le comportement instinctif de nombreux animaux
face au danger, et l'homme n'échappe pas à cette
règle. D'une façon plus générale, sous
la menace d'un prédateur ou sous les bombes, se rassembler
est un mouvement instinctif qui permet de se protéger, et
de sauver " les femmes et les enfants d'abord ". Et cela est
particulièrement vrai pour les plus faibles, c'est à
dire les jeunes enfants, dont les adultes ont la
responsabilité.
-
- - Allaitement du bébé
favorisé (d'autres détails
ici)
- Le fait pour une mère de dormir contre son
bébé est évidemment la solution la plus
simple pour lui donner le sein la nuit. Les tétées
nocturnes sont tout à fait bénéfiques pour
l'allaitement, stimulant la glande mammaire et assurant
globalement une production lactée satisfaisante. Le taux de
prolactine (hormone hypothalamique nécessaire à la
production de lait) est plus élevé la nuit, la
production de lait est donc stimulée. L'effet contraceptif
de l'allaitement est renforcé par de fréquentes
tétées, entre autre par des tétées
nocturnes.
- L'UNICEF et l'OMS ont mis en place dans le monde une action
visant à favoriser l'allaitement maternel dans les
maternités, intitulée " Initiative hôpital Ami
des Bébés ". Les maternités doivent suivre 10
conditions pour recevoir un label. L'une de ces dix conditions
concerne la proximité mère-bébé qui
doit être permanente (138). Eloigner le bébé
pendant la nuit influe de façon négative sur
l'allaitement. De très nombreuses études montrent
que les mères qui restent avec leur bébé
allaitent plus souvent et plus longtemps que les autres (139).
L'UNICEF souligne souvent que cette action vise à favoriser
le lien mère-bébé quel que soit le mode
d'alimentation choisi : les mères qui donnent le biberon
ont également le droit de rester auprès de leur
bébé en permanence.
- Enfin l'observation directe du sommeil des enfants avec leur
mère a permis de mieux connaître l'influence de la
proximité mère-enfant sur l'allaitement. Le
chercheur américain, Mac Kenna a passé plusieurs
années de sa vie à observer les bébés
dormir dans son laboratoire, avec ou sans leurs mères. Il
est le seul à avoir procédé à cette
observation : tous les autres spécialistes parlent du
sommeil partagé sans l'avoir jamais étudié et
encore moins pratiqué. Une de ces études rapporte
l'observation d'une trentaine de couple
mère-bébé d'origine hispanique (culture
où le sommeil partagé est habituel), avec des
bébés d'environ 3 mois (140). Les mères
avaient comme habitude soit de dormir avec leur bébé
la nuit (groupe1), soit de dormir loin de lui (groupe 2). Elles
passaient toutes trois nuits en laboratoire avec leur
bébé : une première nuit pour s'habituer aux
conditions du laboratoire, une deuxième nuit en sommeil
partagé, qu'elles aient l'habitude de faire ainsi ou non
(nuit 1), une troisième nuit en sommeil solitaire (nuit 2).
Le nombre de tétées nocturnes et leur durée
totale ont été reportés (voir tableau
12).
-
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Nuit 1 (sommeil partagé en
laboratoire)
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Nuit 2 (sommeil solitaire en laboratoire)
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Groupe 1 (sommeil partagé habituel)
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4.7 (55.9)
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3.3 (26.4)
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Groupe 2 (sommeil solitaire habituel)
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3.8 (35.3)
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2.3 (19.8)
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- Tableau 12 : Nombre de tétées nocturnes et
durée totale des épisodes de tétée (en
minutes) selon les habitudes familiales et les conditions
expérimentales.
-
- Il apparaît clairement que la proximité
mère-bébé augmente le nombre des
tétées comme leur durée totale. Quelles que
soient les habitudes du couple mère-bébé, le
partage du même lit favorise l'allaitement. Et quel que soit
l'environnement expérimental, les bébés qui
ont l'habitude de dormir avec leur mère tètent plus
longtemps et plus souvent. Ce comportement se développe au
fur et à mesure des semaines qui passent. L'environnement,
les sensations, les gestes, les réactions, tous les
éléments qui composent une nuit partagée, se
renforcent, se modifient sur plusieurs semaines, sur plusieurs
mois, pour favoriser l'adaptation des deux partenaires l'un
à l'autre. Cela est parfaitement démontré en
ce qui concerne l'allaitement, puisque les mères qui
dorment habituellement avec leur bébé donnent plus
souvent et plus longtemps le sein que les mères qui
couchent loin de leur bébé, quelque soient les
conditions en laboratoire.
- Une étude américaine (95) en 1986 a
également montré que le sommeil partagé
favorisait les réveils et donc les tétées.
Enfin la durée de l'allaitement (141, 142) et la
fréquence des tétées (143) sont
associées au partage du lit avec la mère. Les
auteurs de ces études restent cependant prudents : un
allaitement facilité est-il une conséquence (le
sommeil partagé favorise l'allaitement) ou une cause
(l'allaitement favorise le partage d'un même lit) ? Il est
tout à fait possible que les deux explications soient
vraies.
- Cependant, il convient de remarquer qu'à
l'échelle des sociétés, allaitement et
sommeil partagé ne sont pas toujours associés.
Ainsi, si comme nous l'avons montré, les populations noires
des Etats Unis pratiquent plus souvent le sommeil partagé
que les blancs, c'est l'inverse en ce qui concerne l'allaitement
maternel : en 1998, 68% des mères blanches allaitent,
contre 45% des mères noires. Ces remarques sont
également valables pour les populations hispaniques.
Egalement, à Hong Kong où le sommeil partagé
est fréquent (au moins 1 bébé sur trois dort
avec sa mère), elles sont moins d'une sur 10 à
allaiter leur bébé à 4 semaines (soit encore
moins qu'en France qui ne se distingue pourtant pas par des taux
d'allaitement élevés). Il semblerait que le sommeil
partagé soit moins rapidement abandonné par les
mères que l'allaitement : rares sont les
sociétés où l'allaitement est la norme (c'est
à dire que la majorité des bébés sont
allaités un an ou plus) et le sommeil solitaire
fréquent.
- En Norvège où une campagne d'envergure nationale
pour favoriser l'allaitement a débuté en 1990, les
parents ont été encouragés à dormir
aux côtés de leur bébé : la pratique du
lit partagé est ainsi passée de 5% dans les
années 80 à pratiquement 30% en 1998 (54). De plus,
85% des bébés dormant de cette façon sont
allaités contre 75% des bébés dans tout le
pays.
- Il reste vrai néanmoins que l'abandon de l'allaitement
s'est souvent accompagné en occident d'une
séparation facilité de l'enfant loin du corps de sa
mère. Les médecins qui prônent le sommeil
solitaire ne sont jamais des grands spécialistes de
l'allaitement (en dehors peut-être de Marie Thirion en
France, exception confirmant la règle). La brochure
éditée par PROSOM dont il a déjà
été question ici, est une magnifique
publicité gratuite pour tétine et autres accessoires
de l'alimentation de substitution.
-
- Pour conclure, il est évident que l'une des fonctions
du sommeil partagé est de favoriser pour le jeune enfant
une alimentation adaptée, lui permettant notamment de se
développer et de se protéger vis à vis de
certaines maladies.
-
- -Maintient de la température corporelle
-
- Il n'y a pas si longtemps encore, nous ne
bénéficions que de moyens de chauffage bien
rudimentaires. Le feu et le vêtement ont été
pendant des millénaires les seules sources de chaleur
non-vivantes. Elles étaient précieuses et rares. La
chaleur animale et la chaleur humaine constituaient une source de
chaleur supplémentaire ou un excellent moyen de limiter sa
déperdition ; cela était particulièrement
vrai la nuit, avec une température plus froide que le jour
; et encore plus vrai pour un jeune enfant, plus fragile qu'un
adulte. L'expérience dite des " bébés
kangourous " menée en Amérique latine (144) semble
démontrer avec force que le corps de la mère joue un
rôle déterminant pour maintenir la température
de bébés nés prématurément :
les bébés sont littéralement attachés
sur le ventre de leur mère, jour et nuit, sans autre
vêtement qu'une couche. Cette méthode est aussi
efficace que l'utilisation des couveuses modernes et bien plus
intéressante pour maintenir un lien
mère-bébé de bonne qualité. Une
étude a montré que la température rectale des
bébés augmente de 0,1°C quand ils dorment
contre un adulte (145), ce qui est énorme d'un point de vue
physiologique.
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