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4. Discussion

 

4.1. Les difficultés méthodologiques

Selon les méthodes employées, des difficultés inhérentes peuvent être rencontrées.

Les additions de cas, sans groupe témoins, ne permettent pas de calculer un risque relatif pour tel ou tel facteur. Les auteurs, conscients de cette faiblesse, cherchent parfois à déterminer des comportements dans la population générale (Beal, 2000 ; Scheers, 2003).

Les études multicentriques présentent plusieurs difficultés : difficulté de recueillir des données comparables dans des situations très diverses, difficulté de déterminer quels facteurs pertinents analyser (selon les situations, certains indicateurs peuvent ne plus être pertinents), aussi bien concernant la description de l’arrangement nocturne (où dorment les bébés, avec qui) que le recueil des données sanitaires (calcul des taux de MSN).

Les études cas-témoins peuvent souffrir d’un biais de mémorisation, les données étant souvent recueillies de façon rétrospective.

Le nombre de cas extrêmement faible, que ce soit de nourrissons morts de MSN en dormant avec leur mère quand celle-ci est non fumeuse ou de nourrissons morts en étant recouvert par leur partenaire, ajouté au nombre important de facteurs, plus ou moins associés entre eux, rend l’analyse statistique pratiquement impossible.

Enfin les indicateurs choisis pour décrire le partage du lit ne sont pas toujours identiques d’une étude à l’autre, ni clairement définis. Ainsi, dans l’étude Néo Zélandaise, aucune définition du partage du lit n’était donnée aux parents (Scragg, 1993).

 

4.2. Des résultats confus

Comme il est très difficile d’établir un diagnostic qui différencie assurément les MSN des autres causes de décès (asphyxie par recouvrement, strangulation, chute, …), accidentelles ou intentionnelles, aucune étude sur la MSN ne peut éliminer totalement le risque de confusion. Ainsi dans l’étude britannique déjà citée (Blair, 1999), les auteurs précisent que parmi les bébés retrouvés morts dans le lit de leurs parents et considérés comme décédés de MSN, 2 ont été trouvés sous un parent, un autre au fond du lit, un quatrième sur le sol. Egalement, parmi les 20 victimes décédées sur un canapé, 4 étaient retrouvées coincées entre le parent et le dossier du canapé, et dans 5 autres cas le nourrisson a été retrouvé à l’opposé de son parent (sans information sur la taille du canapé ni la position des jambes de l’adulte). On peut raisonnablement se demander si ces décès ne sont pas plutôt des accidents. Inversement, des publications qui concluent très rapidement à la thèse de l’accident, méconnaissent les probables décès par MSN, surtout quand le bébé décédé est retrouvé aux côtés d’une autre personne. Certains médecins (ou personnes habilités pour remplir les certificats de décès) refusent de considérer qu’il pourrait s’agir d’une MSN, et diagnostiquent alors systématiquement un « recouvrement » accidentel.

Pour éviter cette zone grise imprécises, certains auteurs ont préféré rassembler tous les décès se déroulant dans certaines conditions (voir ci-dessus). Mais l’absence de groupe témoins empêche alors de conclure, et ces études oublient le plus souvent de considérer un certain nombre de facteurs (tabagie, consommation de produits diminuant la vigilance, position de sommeil du nourrisson, alimentation, épisodes de maladie,  …). De plus, pour aller dans le sens de ces études globales et pour avoir une image la plus complète et la plus juste possible, tous les accidents pouvant survenir durant la période de sommeil devraient être considérés. Ainsi Okami (2002) propose de s’intéresser au décès de jeunes enfants dus à des incendies, ceux-ci étant plus fréquents que les accidents par suffocation[1], et la solitude pouvant être un facteur de risque dans ce cas.

Nous avons vu que le partage du lit a été déterminé par plusieurs indicateurs. Certains nourrissons décédés dans leur berceau ont été considérés comme faisant partie de la catégorie « lit partagé », car ayant passé un moment dans le lit de leurs parents (voir l’étude Néo Zélandaise). Les auteurs expliquent alors que le décès serait dû au tabagisme passif, dont les effets sont cumulatifs (Scragg, 1993). Aujourd’hui, les études analysent le partage du lit au moment du décès (ou de la période de référence pour le groupe témoin).

On a pu voir certains chercheurs évoluer dans leurs recommandations. C’est le cas notamment pour l’équipe Néo Zélandaise : Mitchell (1993 b) annonçait au début des années 90 que « les données épidémiologiques montrent clairement un risque augmenté pour la MSN associé au partage du lit. Nous avons démontré que cette association est une relation de cause à effet. Nous reconnaissons à la perspective évolutionniste tout son intérêt, mais nous pensons que le partage du lit a perdu son utilité historique ». Ils reconnaissaient cependant que « le partage du lit peut être protecteur pour un petit nombre de nourrissons. Cependant, aujourd’hui il n’y a pas de méthode pour identifier ce groupe ». En 2002, Mitchell déclare « de façon claire, il y a des façons sûres et d’autres non sûres, de partager le lit … Pour les mères qui n’ont pas fumé durant leur grossesse et qui ne consomment pas de substances sédatives, le partage du lit présente soit aucun risque, soit un risque minimal » (Taylor, 2002).

Lors d’un congrès sur la mortalité infantile, Mitchell soulignait qu’il n’était pas possible à l’heure actuelle de savoir clairement si le partage du lit est un facteur de risque ou non, et que si c’est le cas, ce risque était faible avec un OR de 1.4 (Mitchell, 2003).

Peter Blair, spécialiste de renommée internationale, soulignait récemment que la proportion des nombres de cas de MSN retrouvés dans le lit des parents augmentait et allait probablement continuer d’augmenter, semant le trouble et l’inquiétude dans la communauté scientifique. Il explique cette augmentation par la réduction des cas de MSN de nourrissons dormant seuls, le principal facteur de risque dans cette situation qui est la position ventrale ayant notablement diminué. Il propose également de définir d’autres protocoles d’études qui prendraient en compte les différents sous-groupes de cas de MSN (Blair, 2003). On pourra rajouter également que l’augmentation des taux d’allaitement entraîne une augmentation de la pratique du partage de lit.

 

En conclusion, pour les mères non-fumeuses qui allaitent et qui dorment avec leur nourrisson, il n’a pas été démontré un risque augmenté de MSN et rien ne permet de penser qu’elles risquent de les recouvrir accidentellement quand elles sont dans un état de vigilance habituel.

On remarquera que, aussi bien pour la MSN en situation de partage du lit que pour le recouvrement par un partenaire, les très jeunes bébés (moins de trois mois) sont plus souvent victimes que les bébés plus âgés. Les précautions qui peuvent être recommandées pour le partage du lit doivent être proposées dès la naissance. C’est pour cela qu’il est impératif de donner ces informations durant le séjour en maternité, comme cela est systématiquement fait en Grande-Bretagne actuellement[2]. On pourra suggérer à la mère de dormir seule avec son bébé, en utilisant le moins d’accessoire de literie possible (une simple couverture et un petit oreiller), sur un matelas ferme posé sur le sol (voir tableau 5). Les mères qui allaitent entourent leur bébé de leurs bras et de leurs cuisses (voir schéma). Il est probable que les mères qui donnent le biberon n’adoptent pas la même position ; elles tournent également plus souvent le dos à leur bébé : certains préfèrent déconseiller aux mères qui n’allaitent pas de dormir contre leur bébé. Pour les mères qui fument, il est préférable de faire dormir le bébé dans un berceau contre leur lit quand elles-mêmes dorment. Dans tous les cas, le bébé ne devrait pas être placé hors de la chambre des parents les six premiers mois.

 

Les mesures de sécurité qui peuvent être prises doivent concerner tous les nourrissons, y compris ceux qui sont accueillis ponctuellement dans le lit de leurs parents. C’est pour cela que les informations doivent être données à tous les parents, y compris ceux qui n’envisagent pas de faire dormir leur bébé avec eux en première intention.

 

 

 

Une mère dormant avec son nourrisson (issu du dépliant « Partager un lit avec votre bébé » de l’UNICEF UK)

 

 

Facteurs de risque

Facteurs de prévention

  • Matelas mal ajusté au lit, matelas mou, lit inadapté (trop haut, délabré, …)

  • Dispositif de couchage non adapté aux bébés : fauteuils, canapés, …

  • Accessoires de literie dangereux : coussins mous, couettes à proximité du bébé, matières plastiques …

  • Pièce trop chauffée, mauvaise aération.

  • Bébé posé sur le ventre ou sur le côté.

  • Tabagisme des parents

  • En cas de partage du lit, prise de somnifère, d’alcool, de drogues par les parents ; parents très malades ou très fatigués, réflexes diminués ; obésité importante.

  • Alimentation aux substituts du lait maternel

  • Le bébé ne dort pas dans la chambre des parents

  • Matelas ferme aux dimensions du lit ou posé sur le sol (si besoin utilisation d’une barrière parfaitement adaptée au lit  pour éviter les chutes, sans risque de strangulation pour le bébé)

  • Pas d’accessoire de literie sur le bébé (un pyjama suffit)

  • En cas de lit partagé, drap et couverture pour les parents de préférence à la couette

  • Chauffage de la pièce à 18°C maximum en hiver

  • Bébé posé sur le dos

  • En cas de partage du lit, hygiène de vie sans drogue. Sinon le bébé dort à côté du lit des parents dans son propre dispositif de couchage (également en cas de maladie, d’obésité).

  • Allaitement maternel

  • Bébé dans la chambre des parents

 

Tableau 5. Facteurs de risque et de prévention concernant le sommeil du nourrisson la première année

 

4.3 Peur de tuer le bébé : hier et aujourd'hui

 

On retrouve dans presque toutes les descriptions historiques concernant les règles de puériculture occidentales, des recommandations au sujet de la limitation de la proximité mère-bébé ou nourrice-bébé durant la nuit. La raison était double : il s’agissait de lutter contre les morts accidentelles par asphyxie, mais aussi d’empêcher des infanticides qui pourraient se cacher derrière cet alibi. Au IIème siècle après J.C. Soranus indiquait dans Gynaecia« le nourrisson ne doit pas coucher dans le lit de sa nourrice … si la nourrice veut garder l’enfant près d’elle, elle peut mettre un panier pour lui sur son lit » (cité par Gandini, 1993). L’Eglise semble avoir joué là un rôle particulier pour exhorter les mères à ne pas dormir contre leur bébé. Lella Gandini fait ainsi allusion à un livre d’instructions pour les prêtres publié vers 1400 où il est conseillé aux parents de ne pas coucher dans le même lit que leur nourrisson. L’utilisation de dispositifs permettant d’accueillir le bébé dans le lit des parents a été retrouvé dans certains documents : ainsi au XVIème siècle, une boite en bois sans couvercle était utilisée à Florence ; l’arcutio (coque protectrice constituée de trois planchettes fixées sur deux arceaux, que l’on plaçait autour du bébé ) était également utilisé en Italie, et recommandé par un médecin anglais du XVIIIème siècle (Gandini, 1993, Blaffer Hrdy, 2002).  Les nourrices qui accueillaient les petits citadins français avaient obligation d’acheter un pare-feu et un berceau (Morel, 1997), afin d’éloigner le bébé de leur couche. Sarah Blaffer Hrdy (2002) pense que les nombreux décès qualifiés d’accidentels et ayant eu lieu dans le lit d’un adulte, étaient en fait des meurtres déguisés. Elle évoque les rapports de la police londonienne entre 1855 et 1860, où 3900 décès furent d’abord attribués à un étouffement accidentel, avant d’être requalifiés après enquête pour 1120 d’entre eux de meurtres (soit à peu près 30%), chiffre qu’elle pense être encore en-dessous de la réalité.

 

Mais l’association directe entre le partage d’un même lit et le risque de mort pour l’enfant est également un fait récent propre au monde occidental où cette pratique a très nettement diminuée en moins d’un siècle.  De nombreuses publications ont mis en cause le cosleeping dans des cas de morts par asphyxie des bébés, mais également dans les cas de Mort Subite du Nourrisson (MSN) qui rassemble sous cette catégorie tous les décès de nourrissons de moins d’un an dont la cause reste inexpliquée. Le bébé semble s’arrêter de respirer, sans qu’une cause matérielle (obstruction des voies respiratoires) ou physiologique (malformation, maladie, …) soit mise en évidence


 

4.4. Des explications qui font défaut

Aucune explication physiologique ne permet de faire du partage du lit une cause pour la MSN. L’hyperthermie a été réfutée par l’étude Néo Zélandaise, car tout ce qui pourrait concourir à augmenter ce risque (nombre de partenaires, épaisseur des couverture) n’a pas montré d’effet sur la prévalence de la MSN. Toutes les observations sur l’effet du partage du lit mère-bébé on montré au contraire des effets favorables à une prévention de la MSN. Les études de Mosko (1997), menée dans un laboratoire aux Etats-Unis, sous la direction de James McKenna qui le premier s’est intéressé au partage du lit, vont dans ce sens, ainsi qu’une étude menée en Angleterre (Young, 2002). Dans ces deux cas, des couples mère-bébé dormant ensemble ont été observés et comparés, dans le premier cas à des couples dormant dans des pièces séparées, dans le second à des couples dormant dans des lits adjacents (dans tous ces cas, les mères allaitent leur bébé). Le partage du lit induisait chez le nourrisson un sommeil plus léger. Il en va de même pour les nourrissons allaités comparés à ceux qui ne sont pas allaités, ce qui est favorable à la prévention de la MSN (Horne, 2004).

 

4.4. Prévenir, interdire, soutenir ?

Des facteurs telles que la position du bébé lors de son sommeil ou la présence ou non de partenaire durant son sommeil sont considérées comme modifiables. Pourtant, les familles rencontrent parfois des difficultés à coucher un nourrisson sur le dos (certains dorment très mal dans cette position) ; et le fait de dormir avec sa mère est associé à l’allaitement maternel et représente une stratégie de soins aux nourrissons naturelles, qui apporte des bénéfices non négligeables, et que les nourrissons apprécient beaucoup.

 

La santé de la population est un concept large et les campagnes de prévention qui souhaitent informer et modifier les comportements doivent prendre en compte de nombreux paramètres. En ce qui concerne la question du partage du lit, le contexte socioculturel, la vie quotidienne et ses aléas, les bénéfices et les désavantages de cette pratique, devraient être considérés. Entre autres, les difficultés de sommeil fréquemment rencontrées dans notre population et la facilitation de l’allaitement maternel sont à prendre en compte lors de l’élaboration de ces campagnes. Le sommeil partagé n’est pas un comportement valorisé dans nos sociétés, en particuliers par les experts de la santé ou de la petite enfance (voir les réactions des journalistes et organismes officielles après la publication de l’étude de Carpenter en 2004). On exige alors de ce comportement une perfection qu’on est loin d’attendre d’autres pratiques plus communes. Bien peu de personnes incriminent le berceau et le sommeil solitaire quand un bébé est retrouvé mort dans cette situation (pourtant, la MSN est également appelé « cot death », soit « mort au berceau » en anglais). D’autres publications ont suscité moins de réactions : on n’a toujours pas lancé d’appel pour n’utiliser que des matelas de lit d’enfant neufs, alors qu’une étude a clairement montré que des matelas déjà utilisés étaient un facteur de risque indépendant pour la MSN (Tappin, 2003).

La prévention de la MSN ne doit pas aveugler ni obscurcir le jugement. On s’étonnera des recommandations diffusées par l’American SIDS Institute (www.sids.org, visité le 14 mars 2004) qui invite les parents à ne pas faire d’enfants trop rapprochés pour cette raison. Même si la faible distance entre deux naissances est un facteur de risque selon certaines études, doit-on se soumettre à cette seule raison pour débuter une grossesse ? Doit-on également déconseiller les familles nombreuses (le rang élevé dans la fraterie augmente le risque de MSN) ? Interdire le chômage et la pauvreté (également associé à une élévation du risque de MSN) ?

Les professionnels doivent adapter leurs conseils aux patients qu’ils ont en face d’eux. Certains parents n’arrivent pas à dormir avec leur bébé dans leur chambre ; certains bébés ne se calment que contre leur mère, qui par ailleurs n’arrive pas à cesser de fumer ; d’autres ne fermeront l’œil que posé sur le ventre ; certaines mères interrompent l’allaitement très rapidement. Entendre ces histoires, accepter les difficultés de ces familles à suivre les recommandations officielles fait aussi partie du travail des professionnels de santé qui doivent accompagner tous leurs patients. Il est sans doute totalement contre productif d’interdire n’importe quel comportement, y compris quand il comporte certains risques. Car dans ce cas, il est à craindre que les parents ne prennent pas toutes les précautions qu’ils seraient en mesure de prendre, ou qu’ils le cachent. Des parents qui placeront leur bébé dans une pièce isolée prendront soin de le coucher sur le dos, les pieds contre le fond du berceau, sans accessoire de literie à proximité, et viendront le plus souvent possible vérifier que tout va bien. Une mère qui fume et qui dort avec son bébé pourra prendre un soin particulier à la literie (accessoires, matelas), et essayer autant que possible d’éloigner son bébé quand elle-même dormira.

Une attitude compréhensive et empathique sera très certainement plus profitable à la santé et au bien-être des familles qu’un discours négatif et perçu comme répressif.


 

[1] Entre 1994 et 1996, 213 enfants âgés de moins d’un an sont morts dans un incendie aux Etats-Unis, www.usfa.fema.gov/downloads/pdf/publications/children.pdf  (visité le 14 mars 2004)

 

Références